Article tiré de la revue Pastorale-Québec, juillet-août 2021

Par René Tessier

« Hé, là, un instant! », s’écrira-t-on: nous ne sommes même pas encore sortis de celle-ci, qui s’éternise. Pourtant, c’est un avertissement lancé maintes fois ces dernières années, que, de toute évidence, nous n’avions pas pris suffisamment au sérieux.

Un nouveau phénomène ? Pas vraiment…

Du reste, les épidémies ont jalonné l’histoire du monde et, malgré tous les progrès de la médecine, se sont multipliées dans les dernières décennies. Remontons d’abord au 19e siècle, dans lequel les épidémies de choléra et de typhus se succédaient, alimentées par les déplacements massifs, dans des conditions précaires, de familles immigrantes. Quelques-unes de nos congrégations religieuses se sont investies dans le soin des malades; ce qui n’a pas empêché un bilan d’environ 9 000 morts au Québec. La peste sévit aussi dans certaines localités. La variole, elle, sera combattue par l’un des premiers vaccins à être massivement administré.

Tout le monde a entendu parler de la grippe dite espagnole, en 1918-19, qui provenait en fait de baraquements militaires à Kansas City. Elle s’est répandue sur toute la planète, infectant plus de 50 millions de personnes; au Québec, on parle de 530 000 personnes atteintes et 14 000 morts.

Dans la décennie 1950, sévit ce qu’on a appelé la grippe asiatique, de type H2N2. Celle-ci provoque de deux à trois millions de décès dans la monde. D’autres virus grippaux susciteront aussi de vives inquiétudes, sans nécessairement faire de grands ravages au Québec : la grippe de Hong Kong (1968-69); la grippe aviaire vers la fin de la décennie 1990; le Syndrome respiratoire aigu sévère (2002-2003), qui causera de nombreux décès dans la région de Toronto comme en Asie; la grippe H1N1, à la source d’une alerte sérieuse et d’une grande campagne de vaccination en 2009. Ajoutons au passage que la grippe saisonnière, l’influenza, est réputée causer 3 500 morts annuellement, en majorité des personnes âgées, dans l’ensemble du Canada.

Entre-temps, l’humanité aura vu surgir la deuxième pandémie du 20e siècle, celle du SIDA, à partir de 1981; certains se consolent en sachant que ses modes de transmission sont bien identifiés et limités, d’autres soutiennent qu’on ne peut pas empêcher les rapports sexuels, ni obliger au port du préservatif. Quoi qu’il en soit, la crise commence à se résorber avec l’apparition des antiviraux, après avoir fait tout de même 32 millions de morts. Malheureusement, la médication est beaucoup moins accessible dans les pays encore en voie de développement.    

Or aujourd’hui….

Nous voici donc avec le coronavirus, que des experts annonçaient depuis plus de 20 ans. On se surprend à constater à quel point certains sombrent dans le déni : la COVID-19 tiendrait tout au plus d’une « petite grippe », comme le prétendait le président Trump, ou serait « sans réel danger », comme l’avance encore son collègue brésilien Bolsonaro.  

Pourtant, à la mi-avril, le Québec a franchi le cap des 10 000 morts à lui seul, malgré tous les efforts de confinement alors largement acceptés dans la population. Le monde entier, lui, accuse plus de trois millions de décès; ce qu’on peut accueillir avec une certaine réserve, sachant que les chiffres réels sont sous-estimés ou sciemment dissimulés dans des pays comme la Chine et la Russie. Plus de 150 millions de personnes sur Terre ont été infectées et plusieurs se demandent toujours pendant combien de temps elles en traîneront les séquelles. Est-il vraiment besoin d’insister ?

… et aussi dans un avenir rapproché

La journaliste d’investigation française Marie-Monique Robin, lauréate du prestigieux prix de journalisme Albert-Londres (1995), vient de faire paraître un livre qui tire plus fort sur la sonnette d’alarme déjà actionnée par des centaines d’hommes et femmes de science. L’activité humaine polluante et la rapide détérioration de la biodiversité auraient créé toutes les conditions pour une « épidémie de pandémies ». Au banc des accusés : les risques sanitaires liés à l’élevage industriel, la surexploitation de certaines ressources naturelles, la disparition de plusieurs espèces fauniques qui induit un déséquilibre dans la nature, la déforestation qui détruit les écosystèmes…

La fabrique des pandémies — Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire (Éditions La Découverte, 2021) se base sur une recherche auprès de 62 personnalités scientifiques reconnues. Le livre fait ressortir la croissance récente des zoonoses, transmises à l’être humain par des animaux. On pouvait déjà le vérifier avec la propagation du virus Ebola, qui a tué plus de 220 000 personnes en Afrique, surtout en République démocratique du Congo, entre 2017 et 2020. On croit que celui-ci a été presque vaincu — il perdure à petite échelle — par la vaccination collective et l’assainissement des milieux de vie. Même si nous attendons toujours le rapport de l’Organisation mondiale de la santé, avec laquelle la Chine n’a pas tellement collaboré, on tient généralement pour acquis que le coronavirus COVID-19 est issu lui aussi de souche animale. 

Mme Robin est aussi documentariste. Elle est l’auteure de plusieurs livres qui ont fait époque, dont : Voleurs d’organes, enquête sur un trafic (Bayard, 1996); L’école du soupçon — Les dérives de la lutte contre la pédophilie (La Découverte, 2005); Sacrée croissance! (La Découverte/Arte Éditions, 2014); Le Roundup face à ses juges (La Découverte, 2017). Elle a atteint la célébrité de par son livre devenu film, Le monde selon Monsanto (2008), qui conteste l’usage par cette multinationale des polychlorobiphényles (PCB), aussi appelés biphényles polychlorés (BPC), et le recours systématique aux organismes génétiquement modifiés (OGM).

Marie-Monique Robin travaille aussi sur un projet de film qui ferait suite à ce nouveau livre. Elle peut compter sur la pleine collaboration de Serge Morand, du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). M. Moran fait observer : « La pandémie que nous vivons en ce moment est tout sauf une surprise : si on regarde les 40 dernières années, on assiste à une augmentation marquée des épidémies de maladies zoonotiques » (liées aux animaux tant sauvages que domestiques).

Ce que nous savons pour l’heure

En regard du virus COVID-19 qui nous affecte tant depuis 16 mois, Mme Robin fait valoir qu’on a d’abord constaté une épidémie de grippe porcine en Chine, fin 2019. « Le virus pourrait être originaire des élevages intensifs de porcs de la région de Wuhan. » Même la piste préférée des conspirationnistes, celle d’une erreur de manipulation dans un laboratoire P-4, nous renvoie à la présence d’agents pathogènes parmi les animaux.

Bon, mais en quoi la protection de la biodiversité peut-elle nous protéger des maladies ? Serge Morand fait valoir l’immuno-écologie : « Testée sur les rongeurs, elle pose comme postulat que l’écologie fait partie de l’homéostasie (phénomène d’auto-regénération d’un organisme vivant) de l’individu. » On constate, en effet, que les zones rurales sont beaucoup moins propices à la propagation du virus; ce qui ne serait pas attribuable uniquement à une distanciation plus facile des populations, car les contacts s’y avèrent finalement aussi nombreux que dans les villes. Est-ce que ça pourrait aussi expliquer le faible taux de contamination en Afrique, par exemple ? Les Africains laissent souvent en liberté leurs animaux. Ceux-ci se rendent à la lisière des forêts et y croisent des chauves-souris porteuses de virus, dont la proximité protégerait les populations environnantes, le contact distancié avec le virus ayant un effet immunitaire, comme les vaccins, somme toute.

En somme, si la destruction progressive de nos forêts chasse des animaux chargés de virus vers les humains, il reste que les pandémies ne seraient pas inéluctables. Par exemple, on sait que les rongeurs, principaux réservoirs de pathogènes, prolifèrent du fait de la disparition de leurs prédateurs (renards, chouettes, vautours…). Les chauves-souris, dotées d’une forte immunité, hébergent nombre d’agents pathogènes dont elles ne souffrent pas; mais elles ne deviennent dangereuses que quand on les déloge. De plus, on pourrait éviter l’usage des pesticides et l’élevage intensif.  

Ainsi la situation serait alarmante, mais pas désespérée. En fait, on se perd en conjectures sur ce qui pourrait se produire avec la recrudescence des maladies infectieuses sur des populations dont le système immunitaire est affaibli, parce que surprotégé depuis l’enfance. La terre, soutient Mme Robin, « se regénère » en moins de cinq ans. Toutefois, la conversion de l’agriculture n’ira pas de soi; en pastorale nous savons d’expérience que la conversion, ça tient parfois du miracle.