Article tiré de la revue Pastorale-Québec, septembre 2022.

Par Gabrielle Lepage, missionnaire de Notre-Dame d’Afrique 

Dans toute vie, y a- t-il quelque chose de plus important que les relations humaines? Je ne crois pas! Tout passe, sauf cela. Et on peut dire que le regard joue un grand rôle, qu’il a une grande influence dans nos relations humaines. Le regard ne trompe pas, les yeux sont les révélateurs de nos pensées et sentiments les plus cachés. On peut affirmer que le principal organe de la vision, c’est la pensée, on voit avec nos idées.

Nous ne réalisons pas toujours que la tournure de nos relations interpersonnelles change selon les messages communiqués par nos regards. Regards qui peuvent être admiratifs, bienveillants, approbateurs, mais qui peuvent aussi être méfiants, accusateurs, incrédules. Je suis dans mes yeux, dans mon regard. Mon corps me parle de la qualité des relations que je vis avec les autres. Certaines attitudes sont fondamentales dans nos contacts humains, comme la confiance et la bienveillance. Se fier à quelqu’un, voulant dire sur la qualité de sa présence, sur l’authenticité de sa parole, c’est beaucoup, cela nous procure un sentiment de sécurité avec cette personne. La bienveillance qui consiste à vouloir du bien aux autres est aussi une des attitudes fondamentales, c’est l’aspect le plus radical de l’amour. Au soir de ma vie, je me dépouillerai de tout, sauf d’une chose: l’amour que j’aurai reçu et l’amour que j’aurai donné durant ma vie.

 

Le regard de la proximité

Le pape François disait: « Dans une civilisation paradoxalement blessée par l’anonymat et en même temps obsédée par les détails de la vie des autres, l’Église a besoin d’un regard de proximité pour contempler, s’arrêter, s’émouvoir devant l’autre chaque fois que cela est nécessaire ». Sa devise parle aussi du regard: je reste un pécheur sur qui le Seigneur a posé son regard.

Le regard peut être l’établissement d’un lien; très souvent un regard en dit plus long que tous les mots du monde. Il n’est pas nécessaire de parler quand notre regard en dit long. L’on sait très bien que ce que la voix peut cacher, le regard le livre. La possibilité de vivre commence par le regard de l’autre. Il y a une force dans les yeux. Un regard de haine détruit, un regard d’amour change une vie.

Pour vivre, il faut avoir été regardé au moins une fois, avoir été aimé au moins une fois, avoir été porté au moins une fois. Et après, quand cette chose-là a été donnée, vous pouvez être seul. Amour, estime, respect de soi, ces sentiments surgissent en nous et nous font prendre conscience de notre dignité. On sait maintenant qu’on a une raison d’être puisqu’on existe pour un autre.

Un regard aimant arrive à saisir chez l’autre l’éclat de son trésor intérieur, les yeux distinguent ce qu’il y a de meilleur en lui. Un regard qui déborde d’amour est clair, il ne prête pas d’intention, le regard authentique ne juge pas. Un ami, un véritable ami, c’est aussi un témoin, quelqu’un qui permet d’évaluer mieux sa propre vie.

 

Nous dépendons plus ou moins les uns des autres

C’est un fait bien établi que les autres nous influencent, que le timbre de leur voix nous émeut, que leur regard nous intrigue. On peut dire que le regard des autres est une pression dont il est difficile de s’affranchir totalement. Il laisse rarement indifférent, même lorsque nous prétendons le contraire. Le besoin de plaire et le manque de confiance en soi créent des attentes et nous rendent très sensibles à la manière dont les autres nous perçoivent. Un regard créateur, un geste, une parole vraie nous libèrent de ces attentes, nous rendent plus confiants, plus responsables, plus solidaires.

Dans le regard d’amour d’un être sur nous, le plus merveilleux n’est pas seulement ce que, de ce regard, on découvre, mais ce qu’on y apprend sur soi-même. Il faut regarder pour aimer, mais aussi aimer pour regarder vraiment.

J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt ce que les médias nous ont transmis lors du grand départ d’un de nos meilleurs joueurs de hockey, Guy Lafleur. Il était bon sur la glace, disait un journaliste, et encore meilleur hors glace. Un autre commentaire intéressant nous le fait mieux découvrir : « Il aimait tout le monde, ça paraissait dans son regard, et tout le monde l’aimait ». Guy, disait-on, bien plus que le gars qui a marqué des buts, c’est le gars qui a marqué des vies. Pendant ses funérailles, le très beau chant « L’essentiel », (musique de Charles Aznavour et paroles de Michel Jourdan) interprété par Ginette Renaud, était de nature à nous faire réfléchir: « L’essentiel, c’est d’être aimé, contrairement à tout ce qu’on peut raconter; ce n’est pas la fortune ou la célébrité qui ne sont que du vent et ne font que passer ».

Ce qui se passe depuis le mois de février entre la Russie et l’Ukraine nous fait découvrir un autre genre de regard que l’un peut porter sur l’autre. Ce regard de supériorité, de domination, de jalousie, que certains dirigeants russes portent sur leurs sœurs et frères Ukrainiens, divise au lieu d’unir, provoque la guerre au lieu de la paix, la haine au lieu de l’amour. De plus il a semé un climat de terreur, de peur et d’inquiétude dans le monde entier.

 

Ce que nous pouvons retenir des regards du Christ

Et si on observait le regard de Jésus? « Celui qui est passé partout en faisant le bien et en guérissant sur son passage, tous ceux et celles qui étaient tombés au pouvoir du Malin. » (Actes 10,38) Rencontrer une personne de qualité est contagieux. Jésus était cette figure d’attachement, son regard, son exemple, ses paroles attiraient beaucoup de monde. Il est bon de s’arrêter et de capter les regards de Jésus à travers les récits évangéliques, sachant que comme chrétiens, en plus d’observer les regards de Jésus, nous sommes invités à les transmettre par notre manière de voir les autres comme Lui.

Voyons encore le regard tendre qu’il pose sur Marie- Madeleine: « Marie » (Jean 20,16). « Regardons » le regard miséricordieux qu’il pose sur Zachée: « Il me faut demeurer chez-toi aujourd’hui » (Luc 19,5). Puis le regard interpellant qu’il pose sur Philippe: « Il y a si longtemps que je suis avec toi, Philippe, et tu ne m’as pas reconnu? » (Jean 14,9). Ou encore le regard compatissant porté sur l’aveugle: « Que veux-tu que je fasse pour toi?  Que je retrouve la vue » (Marc 10,51). Ce regard de Jésus sur son prochain, ce regard du Dieu Trinitaire posé sur chacun de nous ses enfants, est très impressionnant; se découvrir ainsi digne d’être aimé est apte à faire jaillir l’amour dans un cœur, comme d’un rocher, une source.

Nelson Mandela disait ceci: « Ayons des yeux lumineux, car en faisant scintiller notre lumière, nous offrons aux autres la possibilité d’en faire autant ». Et j’aime bien ce proverbe africain du Burundi: « La lumière de Dieu brille dans les yeux de tout enfant ». Il faut savoir regarder la vie avec des yeux d’enfants. Seul l’enfant ose regarder au loin car sûr des bras qui le soutiennent et de l’amour qui le porte.

Je conclus en évoquant le très beau chant de G. Lefebvre: « N’aie pas peur, laisse-toi regarder par le Christ; laisse-toi regarder, car il t’aime ».