Cet article a été publié dans la revue Pastorale-Québec d’octobre-novembre 2022. Abonnez-vous pour bénéficier de ce formidable outil!

L’événement n’était pas au programme officiel de la visite du pape François à Québec. Les médias n’en étaient pas informés. Le 28 juillet dernier, après la messe qu’il venait de présider le matin en la basilique de Sainte-Anne de Beaupré et avant les Vêpres de fin d’après-midi à la cathédrale (où son allocution allait avoir un grand impact), le Saint-Père s’est arrêté à la Fraternité Saint-Alphonse de Beauport, une maison de transition pour alcooliques et toxicomanes.

Une étape aussi discrète qu’inattendue

Le père André Morency, rédemptoriste, qui a fondé cette oeuvre et en est toujours le responsable, en avait eu la confirmation seulement la veille en soirée. Certes, un mois auparavant, le cardinal Lacroix et lui s’étaient mutuellement rappelé cette phrase de notre Archevêque : « Si un jour la Pape vient à Québec, ce serait bien qu’il puisse s’arrêter à la Fraternité Saint-Alphonse. » Et des officiels du Vatican s’étaient bien arrêtés pour inspecter les lieux (avec en tête leur sécurité), mais rien de plus. Il lui fallait vivre avec l’espoir, sans savoir ce qu’il en adviendrait.

Quand il a reçu l’appel téléphonique du Cardinal, le soir du 27 juillet, il « n’arrivai[t] pas à y croire ». Il nous confie : « Le matin même, je n’y croyais pas encore. Et le plus dur, c’était de garder le secret. Pensez donc : un placoteux comme moi ! » Regardant la messe au sanctuaire de Sainte-Anne ce matin-là, il contemplait le visage grave du Souverain Pontife et le trouvait bien fatigué. Mais quand, sur l’heure du midi, il a vu arriver plus de 20 motocyclettes de police suivies de limousines noires aux vitres teintées, il a compris que c’était bien réel…

Il avait convié à un méchoui une cinquantaine de personnes : les résidents de la maison du boulevard Sainte-Anne, bien entendu, les membres du Conseil d’administration (CA) et les principaux bénévoles qui gravitent autour de l’oeuvre, en leur signifiant que leur présence serait particulièrement appréciée. Finalement, comme par miracle, « tout le monde y était, même l’avocate qui fait partie du CA ». Si plusieurs bénéficiaires ont pu prendre un important recul face à la religion, il n’en demeure pas moins qu’ils ont tous applaudi quand, voyant le Pape dans sa petite voiture, ils ont compris ce qui se passait. Après lui avoir serré la main, ils le remerciaient et pleuraient de joie, souvent abondamment.

La visite à elle seule constituait un moment de saisissement. Pour le père Morency, l’instant le plus émouvant se produisit quelques minutes plus tard. Un agent de sécurité du Vatican lui fit signe de s’approcher. L’Évêque de Rome lui remit alors une superbe icône de la Vierge de Jérusalem en lui disant : «Merci pour tout ce que vous faites pour les enfants de Dieu. »

Pour le religieux, trente années d’engagement résolu venaient en quelque sorte d’obtenir leur récompense.

Savoir accueillir « toutes les souffrances »

En effet, l’an prochain marquera les trente ans de la Fraternité Saint-Alphonse. Avant d’entrer en communauté, André Morency était tenancier de bar et de restaurant. S’il a pu y croiser bien des vies plus ou moins dessanglées, ce n’est pas d’abord à travers celles-ci qu’il a entendu l’appel de Dieu. Il voulait devenir missionnaire et est allé en Haïti, mais la mission là-bas consistait essentiellement à former une relève religieuse. De retour à Québec, il est devenu bénévole à la Maison de Lauberivière. Là, au contact d’alcooliques, il a été interpellé par une simple affiche sur laquelle le Seigneur invitait à prendre soin des siens. Ce fut le déclencheur.

En Haïti, il avait visité la léproserie et un mouroir tenus par les Missionnaires de la charité, la communauté de Mère Teresa. Il s’est rapidement investi de toutes ses forces dans la Fraternité Saint-Alphonse, à Beauport, tout près d’une sortie d’autoroute. Conçue au départ pour la réhabilitation des toxicomanes et alcooliques, l’oeuvre a évolué progressivement : «Nous avons plus de cas de santé mentale depuis quelques années. » Certains lui arrivent directement de l’hôpital. Pas surprenant qu’à l’occasion, un résident ou un visiteur « saute une coche»!

De fait, le père Morency a compris rapidement que l’oeuvre de sa vie et celle de toute sa précieuse équipe, c’était d’accompagner « toutes les souffrances ». Avant tout, il veut faire réaliser aux bénéficiaires qu’ils ne sont pas – et ne seront jamais – complètement seuls. Un accompagnement spirituel leur est offert et l’organisation de la maison est en conséquence : outre la grande chapelle, le jardin très fleuri et un espace de silence et d’adoration (« là, ton coeur va te parler »), divers espaces pour faire la paix en eux-mêmes sont disponibles. La salle à manger et le local-café s’ajoutent à cette liste, permettant tou tes les conversations. On demande aux résidents de participer au moins à la messe du dimanche matin; s’ils le souhaitent, ils peuvent réciter quotidiennement ensemble le Bréviaire des laïques. Et leur père spirituel (osons cette assertion) aime leur répéter : «Quand tu partiras d’ici, tu sauras que tu n’es plus seul. »

Au fait, combien de temps demeurent-ils généralement à la Fraternité Saint-Alphonse? « Il n’y a pas de délai standard; on leur dit toujours qu’ils décideront de quitter quand ils se sentiront prêts. »

À la longue, les résidents apprennent à démystifier la prière. La grande simplicité d’André Morency y contribue sans doute. « Il suffit de parler au Seigneur comme tu nous parles à nous, à moi, à tes amis, aux personnes que tu aimes moins si tu le veux, peu importe; Il est là qui t’entend. » Lui-même reconnaît dans ces 30 années passées « l’oeuvre que j’ai toujours voulue, un beau clin d’oeil de Dieu à mon endroit ». Des besoins qui s’accumulent Le directeur de la Fraternité Saint-Alphonse aura 74 ans en avril prochain. Son oeuvre exige une présence continuelle, sept jours par semaine. Pour l’aider, un Conseil d’administration, de nombreux bénévoles, deux personnes salariées et un assistant, l’abbé Laurier Morasse, qui le remplace par périodes, en plus de conseiller bénéficiaires et bénévoles. Le père André sent bien ses forces diminuer avec l’âge. Voici que sa dernière soeur, de Shawinigan, est atteinte d’un cancer ; il reconnaît devant nous qu’elle aura davantage besoin de lui au cours des prochains mois.

Il n’est pas le seul dans cette situation. Plusieurs volontaires de longue date sont devenus octogénaires et doivent laisser ou diminuer leurs responsabilités. Le passage du Saint-Père a sans conteste fait chaud au coeur mais les problèmes ne s’atténuent pas moins. Ainsi, une première évaluation estimait à 60 000$ le montant nécessaire pour réparer la toiture de l’édifice; un examen plus approfondi situe désormais à 200 000$ le coût des travaux qu’il faudra effectuer. Jusqu’ici, la Providence a toujours veillé sur l’oeuvre et ses besoins. Le père Morency se dit confiant qu’il continuera à en être ainsi, ce qui ne l’empêche pas, lui très discrètement mais nous plus fortement, de lancer un appel à d’éventuels bénévoles et bailleurs de fonds.

Un témoignage touchant

il faut ajouter cet extrait d’un couple associé de l’institut séculier Pie X de la région de Montréal, Colette Doré et Jacques Thibault : « Quand nous avons été invités à nous approcher du Pape, nous avons été saisis par son regard plein d’amour et de tendresse. après que le cardinal Lacroix ait expliqué au Pape ce qu’on faisait pour les personnes démunies à travers l’organisme Fin à la faim, il a semblé touché. il a pris nos mains dans les siennes comme un bon papa et, dans une grande humilité, il nous a dit: “Priez pour moi, c’est très difficile’’. Nous avons été envahis par une grande émotion… »