Article tiré de la revue Pastorale-Québec, octobre 2020

Par René Tessier

On aura parlé beaucoup de la réorganisation et des mesures auxquelles nous aura contraints la pandémie des derniers mois. De même, on s’inquiète encore de savoir dans quelle mesure nos fidèles, souvent âgés, retrouveront le chemin de l’église chaque dimanche, dans un contexte d’accès contrôlé et de diminution dans l’offre des célébrations eucharistiques.

Il est cependant un angle que nous avons très peu abordé, du moins directement: l’impact des restrictions et des obligations sur la situation financière des paroisses d’abord, des Services diocésains par ricochet. Nous sommes allés rencontrer les responsables de la paroisse Notre-Dame de Québec, très affectée à première vue par la diminution marquée du tourisme en général, l’interruption des pèlerinages et la quasi-disparition des navires de croisière dans le Port de Québec.

« Ça pourrait être plus sombre » …

Rappelons que la paroisse Notre-Dame de Québec a la responsabilité de trois lieux de culte : la basilique cathédrale Notre-Dame, la petite église Notre-Dame-des-Victoires sur la Place Royale et l’église Notre-Dame-de-la-Garde sur le boulevard Champlain. Les deux premières, au cœur du Vieux-Québec, sont généralement très fréquentées par les touristes, alors que la troisième rassemble une petite communauté de quartier.

D’entrée de jeu, le curé, Mgr Denis Bélanger, réagit à ce qui a été rapporté dans de grands quotidiens (La Presse + et Le Devoir) à propos de la situation précaire de la basilique Notre-Dame de Montréal: « Je suis très fier de ce que nous avons pu réaliser à Notre-Dame de Québec, avec une structure légère et globalement peu coûteuse, malgré tout. » Il raconte que le concepteur du spectacle son et lumière à Montréal est venu lui proposer le même projet pour notre cathédrale, au prix de six millions de dollars; un plan rapidement écarté! 

Ceci dit, les revenus de Notre-Dame de Québec ont sérieusement chuté dans les sept premiers mois de 2020, en comparaison des années précédentes. Les entrées d’argent, concrètement, proviennent des quêtes aux messes, des dons (capitation et autres), des lampions allumés et des ventes à la boutique de la cathédrale. Le gérant de la paroisse, Gilles Gignac, nous informe qu’au 31 juillet, les quêtes avaient permis d’amasser 25 000 $ seulement, contre 64 000 $ à la même date l’an dernier. Pour les autres sources de revenus, « on constate une diminution des deux tiers ». Ainsi les luminaires ou lampions ont permis de recueillir 27 000 $, contre 92 000 $ en 2019. Sachant que la fabrique comptait fermer l’église en semaine cet automne, les guides-étudiants subventionnés n’étant plus au poste, M. Gignac ajoute : « Évidemment, si nos portes sont closes, on ne peut pas espérer grand-chose du côté des lampions ou de la boutique ».

Depuis la réouverture des lieux en juin (avec une assistance d’abord limitée à 50 personnes au maximum), la baisse de fréquentation est estimée à plus de 80%. Entre le 28 juin et le 19 juillet, la cathédrale a accueilli « tout de même 7 000 visiteurs », la plupart pour quelques minutes, alors qu’à cette période, il en passe habituellement 60 000. Et la haute saison reste celle des croisiéristes, qui affluent en septembre et octobre, mais seront quasiment absents cet automne.

Ce qui sauve la situation, c’est la baisse assumée des dépenses. La paroisse compte quatre employés à temps plein, sept en incluant l’équipe pastorale: le curé, le vicaire, une animatrice de pastorale. Elle en a aussi sept à temps partiel, surtout les jeunes sacristains, qui peuvent travailler 12-16 heures par semaine, principalement les fins de semaine en fait. La grande majorité du personnel s’est contentée de 75% de son salaire dans le cadre d’un programme d’aide fédéral. Un prêts d’urgence de 40 000 $ a aussi aidé des lieux de culte qu’on ne chauffait plus en mars, avril et mai. Les dépenses ont donc été réduites de 50%, tout comme les revenus.

Qu’en est-il alors de la capitation? Sans surprise, la paroisse n’a pas fait de campagne au printemps, elle attend l’automne. De fait, la très faible population du quartier (guère plus de 3 000 personnes) ne promet que des résultats relativement faibles. « Si, dans une année (normale), nous atteignons 25 000 $, c’est merveilleux », indique Gilles Gignac. Cependant, il relève que de plus en plus d’établissements commerciaux du secteur s’ajoutent à la liste des donateurs, plus conscients de l’impact très positif du tourisme religieux. Toutefois, faisons-nous remarquer (ah, ces journalistes!), les commerçants seront sans doute plus réservés en 2020: les restaurants crient famine et l’Association hôtelière du Vieux-Québec accusait en août un taux d’occupation des chambres de seulement 20%, contre 90-95% les derniers étés. Les touristes québécois étaient plus nombreux que jamais dans les derniers mois, mais ils se contentaient souvent d’un séjour de quelques heures et … d’une crème glacée!

… en attendant une reprise bien incertaine

Ici, une inquiétude se dessine. On devine qu’Ottawa ne pourra pas éternellement multiplier ou allonger ses programmes d’aide aux chômeurs de circonstance. À quand une vraie reprise, donc ? « Notre échéancier risque d’être calqué sur celui d’Air Canada », blague le curé Denis Bélanger. (Les compagnies aériennes, en fin d’été, reprenaient bien timidement certains vols internationaux et la frontière avec les États-Unis était toujours fermée.) Vos prédictions pour le retour des croisières, messieurs? « Probablement dans deux-trois ans », risque Mgr Bélanger, « ce qui ne serait pas si mal pour nous, compte des deux années consécutives de jubilés ». Car l’an 2024 marquera le 350e anniversaire du diocèse de Québec, l’Église-mère d’Amérique du Nord, et 2025 sera le 350e de sa cathédrale. On imagine déjà l’affluence devant une Porte sainte rouverte pendant un peu plus de 24 mois. De plus, l’abbé Pierre Robitaille, vicaire, nous confirme que, grâce au cardinal Lacroix pour une part, Québec accueillera le Congrès mondial des Chevaliers de Colomb en 2024. À moins que, bien entendu…     

Cette Porte sainte a vraiment été pleinement adoptée par tous les protagonistes de l’industrie touristique régionale. Même les cochers des calèches la présentaient systématiquement à leurs clients dès l’été 2013, alors que les travaux venaient à peine de débuter. Son succès inespéré n’est pas d’abord une affaire de gros sous, insiste le premier pasteur de Notre-Dame de Québec: « Nous ne prétendons pas comprendre le tout de leurs motivations, mais des dizaines de milliers de personnes l’ont traversée aussi sérieusement que librement, dans le cadre d’une démarche nettement spirituelle. » Le curé relève entre 300 et 500 intentions de prière déposées chaque semaine, dans une multitude de langues, qu’il a pris le temps de lire… chaque fois qu’il le pouvait.

Les jeunes sacristains qui se succèdent depuis quelques années donnent pleine satisfaction aux responsables de Notre-Dame de Québec. L’endroit abonde de « spécificités liturgiques » et les paroissiens « aiment bien voir cette jeunesse enthousiaste », fait remarquer le vicaire. Leur vêtement, très distinctif, les identifie aux yeux des visiteurs; il devient « un signe identitaire de leur engagement chrétien », ce dont les jeunes catholiques semblent bien désireux à notre époque. Pour ces jeunes adultes, cette tâche est vraiment devenue le lieu d’une authentique expérience spirituelle.

Bref, on semble relativement confiant malgré tout, à Notre-Dame de Québec. Mgr Bélanger se fait sibyllin: « Si nous traversons la 2e vague (de la pandémie) … » Et le gérant Gilles Gignac nous demande de ne pas oublier les précieux bénévoles qui sont indispensables lors de plusieurs activités paroissiales: « Nous pourrions en donner une très longue liste mais je préfère insister sur cette cinquantaine de personnes qui s’activent continuellement au service de nos lieux de culte. » Une autre raison d’espérer, en somme. Même si, avoue candidement M. Gignac, « 2021 nous fait peur, pour l’instant ».