Celle qui était la vice-chancelière du diocèse de Québec depuis des années, Denise Mathieu, a pris une retraite bien méritée à la fin de l’été. Les activités de la Chancellerie diocésaine ne sont pas toujours très bien connues, même dans le monde pastoral, d’autant plus qu’elles s’exercent généralement « en toute discrétion ». Notre jeune retraitée a néanmoins accepté de nous en parler de manière globale, nous faisant découvrir quelques-unes des activités liées à la mise en pratique du droit canonique au sein de l’Église catholique de Québec. Nous l’en remercions chaleureusement.

Propos recueillis par René Tessier

Q: Bonjour, Denise. À l’instar de Marie Chrétien que nous interrogions le mois dernier, vous aussi, vos mandats pastoraux ont couru depuis 1984, donc entre deux visites papales au pays (Jean-Paul II et François) ?

R: (Sourire) Oui. Après mes études théologiques, j’ai débuté en pastorale au Cegep de Thetford. Puis je me suis rapprochée de Québec en acceptant la tâche d’animatrice régionale à la région pastorale Orléans, alors constituée du grand Beauport, de l’Ile d’Orléans et de la Côte de Beaupré. Ce n’est pas sans regret que j’ai quitté cette région qui était devenue pour moi une petite famille mais, en intégrant les Services diocésains, j’optais pour un horaire plus stable et plus approprié pour la vie familiale.

Q: C’est trop vrai que nous, prêtres et religieuses célibataires, ne pensons pas toujours spontanément à cette partie pourtant importante de nos vies. Qu’en était-il pour vous?

R: En pastorale régionale, je travaillais une bonne douzaine d’heures les soirs et fins de semaine. À nos débuts, il nous aura aussi fallu attendre plus de dix ans, mon mari et moi, avant de pouvoir prendre ensemble nos vacances annuelles. Nous avons eu deux filles. Elles habitent toutes les deux à Boston, maintenant, et nous allons sans doute les visiter encore plus souvent. Là aussi, Gilles, mon mari, s’est montré très patient: lui-même est à la retraite depuis dix ans déjà. Il avait vraiment hâte que je me joigne à lui.  

Q: Aux Services diocésains, je crois que vous n’avez pas commencé immédiatement à la Chancellerie?

R: Non, j’ai d’abord été secrétaire administrative à compter de 1997. En 2001 s’est ouvert un poste de notaire à la Chancellerie et j’ai soumis ma candidature. J’ai hérité principalement de la préparation de l’Annuaire diocésain et du traitement des dossiers de mariage. On m’a demandé d’aider aussi à la bonne tenue des registres paroissiaux; ce qui passait forcément par des journées de formation pour les intervenants locaux, dont les secrétaires des fabriques. Parmi les points délicats figuraient et figurent encore les adoptions, les changements de noms et les corrections à apporter aux actes de naissance ou de mariage.

Q: Les mariages à l’église se sont faits plus rares mais se peut-il que la procédure se soit complexifiée du fait de situations nouvelles ou inédites?

R: C’est vrai que le nombre a beaucoup diminué, j’en ai été témoin personnellement. À mon arrivée en 2001, nous recevions 1 600 demandes de mariages annuellement, nous en sommes maintenant à 400 seulement. Cependant, comme vous l’avez bien perçu, les dossiers sont souvent beaucoup plus complexes. Nous n’avons plus la quasi-homogénéité qui existait encore naguère. Nous voyons beaucoup plus d’unions interethniques, avec les difficultés inhérentes à certains décalages interculturels, particulièrement quand une Québécoise épouse un musulman qui a une tout autre conception des responsabilités parentales. (L’Église catholique de Montréal a produit un dépliant très pertinent pour aborder ce type de situations.) Le Gouvernement canadien a d’ailleurs jugé nécessaire de resserrer les règles qui président aux contrats de mariage entre un-e non-résident-e et un-e citoyen-ne du Canada. J’ai vu plusieurs femmes qui ne réalisaient pas, en signant un document préparé pour elles, qu’elles apostasiaient sans le savoir, en plus de se soumettre à d’autres obligations auxquelles elles n’auraient jamais songé. Même un grand nombre de baptisés catholiques désireux de contracter mariage nous viennent de l’étranger, ce qui complique quelque peu la procédure traditionnelle. Les requérants peuvent alors avoir bien du mal à récupérer leurs données personnelles.          

Q: D’autres facteurs de complexité ?

R: En 2019, la direction de l’État civil a apporté des modifications aux règles. La publication des bans (avis de mariage) se fait en ligne, comme vous savez sans doute, mais le Ministère les publie maintenant seulement après approbation du dossier. Or cette publication doit se faire un mois avant la cérémonie de mariage. Et, conformément à la pratique traditionnelle, il faut une réponse additionnelle de l’Église diocésaine dans le cas de deux cousins germains.

Q: La nécessaire harmonie des droits canonique et civil exige peut-être une grande vigilance ?

R: En effet. Il s’agit pour nous de demeurer constamment alertes face à l’évolution du droit civil. L’Église n’est pas en reste, ceci dit : le Pape a décrété des transformations importantes, en début d’été, dans l’organisation des dicastères romains. Au plan canonique, nous gérons les enquêtes faisant suite à des plaintes reçues, qui peuvent théoriquement concerner le secret de confession ou des situations d’abus, sexuel ou autre. Nous vérifions aussi si nous pouvons lever des clauses restrictives (les vetitum et nolitum) qui peuvent empêcher un mariage. Mais dans un cas de nullité précédente due à un manque de maturité, le temps passé permet parfois de croire que la personne a gagné en sagesse, ce qu’une rencontre permet de valider.

Q: Quels principes vous guident le plus souvent?

R: Je dirais, avant tout, que nous sommes appelés à juger d’une situation, non de personnes. Nous nous le rappelons fréquemment.

Q: Mais vous n’avez pas que des problèmes ou des situations difficiles à traiter : je songe en particulier à votre part dans les causes de béatification…

R: C’est vrai. Je considère d’ailleurs comme un privilège d’avoir à aborder de tels dossiers. Sans manquer à la confidentialité, je peux dire que nous avons examiné la vie et les écrits de Mère Julienne du Rosaire, la fondatrice des Dominicaines missionnaires adoratrices. Nous avions fait précédemment l’enquête supplétoire pour la cause du père Clément Staub, cofondateur des Sœurs de sainte Jeanne d’Arc, et avons été mêlés au dossier de la bienheureuse Marie-Léonie Paradis, fondatrice des Petites Sœurs de la Sainte-Famille. Chaque fois, nous avons eu la chance de découvrir ou redécouvrir les charismes fondateurs. Toucher de si près l’action de Dieu dans une vie bien incarnée nous offre une occasion de nous émerveiller: ces personnes se sont données totalement.  Plus récemment, nous avons parcouru de notre mieux la vie de Colette Samson, bien connue pour avoir mis sur pied la Maison Revivre pour les sans-abris. Dans son cas, nous n’avons que très peu d’écrits; heureusement, nous avons pu recueillir un bon nombre de témoignages.      

Q: Ce travail comporte sans doute maints aspects techniques ?

R: Certainement. Par exemple, avant de sceller le dossier que nous envoyons à Rome, nous authentifions toutes ses pages. Et d’apposer le sceau final peut comporter des risques, car une fois nous avons failli mettre le feu aux documents. Mais surtout, ces procédures en vue d’une béatification, ou même d’une canonisation, étaient devenues tellement exceptionnelles que, comme l’avait énoncé en 2001 notre chancelier Jean Pelletier, nous avions « perdu l’expertise requise ». Les enquêtes préliminaires pour vérifier la plausibilité de miracles constituent également un exercice qui fait appel au jugement et à la réflexion en équipe.

Q: À la mort de Colette Samson, le journaliste du Soleil Alain Bouchard avait écrit d’elle: « Colette Samson était née Lamontagne; les deux noms lui allaient comme un gant ».

R: (Sourire) Je suis bien d’accord avec lui; même s’il reste encore quelques étapes à franchir dans son dossier, nous pouvons déjà la qualifier de femme impressionnante, d’autant plus qu’elle est reconnue vénérable par l’Église universelle. Son engagement était vraiment vocationnel, elle s’est donnée totalement à ses bénéficiaires.

Q: Par ailleurs, si on se fie à nos courriers électroniques, je crois que les requêtes d’apostasie sont nettement plus nombreuses depuis quelques années ?

R: Je vous le confirme. Toutefois, peut-être en conséquence, nous recevons aussi de plus en plus de demandes de la part de gens qui souhaitent être réadmis dans l’Église. Nous voyons cela chez des personnes qui étaient passées à l’une ou l’autre des Églises protestantes, tout comme chez de nouveaux arrivants au pays. Cela coïnciderait-il avec un certain désir d’intégration dans le milieu? Difficile à dire. Ce qui me semble quasi assuré, c’est qu’ils veulent accéder aux sacrements, à l’Eucharistie principalement. (Le catéchuménat, la démarche d’adultes voulant être baptisés, c’est autre chose). De plus, nous reconnaissons en principe la validité du baptême dans les confessions presbytérienne, luthérienne, anglicane et de l’Église Unie au Canada.

Q: J’ai tout de même pu observer que vous vous acquittez aussi d’autres tâches, par exemple des événements spéciaux comme les ordinations épiscopales?

R: Oui, cela contribue à faire de la Chancellerie un milieu passionnant, qui nous donne d’évoluer continuellement. Parmi les grands événements, il faut compter aussi les célébrations diocésaines pour un nouveau cardinal; nous en avons vécu deux dans les 20 dernières années. Les ordinations épiscopales, nous en comptons bien davantage, évidemment, avec ces nombreux évêques auxiliaires qui ont été ordonnés à Québec. Anecdote : l’été dernier, lors du passage du Pape à Sainte-Anne de Beaupré, j’étais à la salle de vêture des évêques et il me semblait que la plupart d’entre eux avaient été ordonnés à l’origine pour notre diocèse, avant de prendre la responsabilité d’un autre. Lors de ces cérémonies, nous acheminons les invitations et nous plaçons les invités dans l’église conformément à un protocole préétabli.      

Q: N’avez-vous pas aussi personnellement travaillé au sein d’un comité sur la revalorisation du sacrement de la Réconciliation ?

R: (Sourire) Merci de me le rappeler, j’allais l’oublier. Ce fut pour moi une très belle expérience, avec des équipiers plus que compétents, comme le père Raymond Vaillancourt, Mgr Pierre Gaudette et l’abbé Lucien Robitaille, entre autres. C’était une belle marque de confiance de la part de Mgr l’Archevêque, de m’assigner aux côtés de personnes aussi compétentes. Finalement, je crois que le travail accompli a fait avancer tant la réflexion que la pratique autour de ce sacrement.  

Q: Un mot, si vous voulez, à propos des cimetières, pour lesquels le grand public pose de plus en plus de questions ?

R: C’est un dossier spécialisé, aux aspects vraiment délicats parce qu’il soulève ou fait revivre maintes émotions. Parfois, nous sommes conduits à trancher dans des chicanes de famille. Heureusement, nous avons la chance, depuis sept ans déjà, de compter sur les services (bénévoles) de Denis Racine. J’ai moins « joué » là-dedans même si j’ai régulièrement à transmettre les requêtes qui nous sont adressées. Je pourrais en revanche vous parler des chapelles d’adoration qui se sont multipliées depuis une quinzaine d’années, avec l’autorisation de l’Ordinaire diocésain. Les oratoires des communautés religieuses ont eu droit aussi à notre attention, même si leur gestion ne pose que très peu de problèmes.

Q: En définitive, que diriez-vous sur cette Église que vous avez bien servie depuis plus de 30 ans ?

R: Comme on nous le répète régulièrement, j’adhère sans réserve à ce principe que l’Église doit savoir se faire proche des gens qui cherchent et qui doutent. « Accompagner », c’est plus qu’un slogan à mes yeux, ça représente même un défi exigeant mais incontournable. Certes, notre Église traverse une période difficile. Par exemple, nous sentions à mes débuts une grande ouverture à l’engagement de laïques et nous percevons présentement un essoufflement. De plus, travailler en Église n’est pas vraiment bien vu dans nos entourages; ce qui nous renvoie à nos convictions profondes et nos motivations fondamentales. Bien des gens n’ont pas vu évoluer l’Église du Québec et gardent d’elle une image négative. Dans nos milieux religieux, on insiste surtout sur le maintien des services traditionnels, au détriment de la mission qui nous appelle. Il y a une tension entre les célébrations sacramentelles et la disponibilité requise pour accueillir la vie des personnes. La Commission justice et foi, en 1984, avait énoncé plein d’éléments que nous aurions avantage à retrouver aujourd’hui. Je suis tout de même fière du boulot accompli à la Chancellerie, qui correspond à un véritable ministère selon les critères du théologien Yves Congar.

Q: Vous n’aurez probablement aucun mal à occuper votre retraite professionnelle?

R: Ces dernières années m’ont fait voir la vie comme un apprentissage continuel. Outre ma famille, je compte continuer à explorer l’objet d’une de mes passions : les grottes préhistoriques. Celle que j’ai visitée en septembre, en France mais pas celle très connue de Lascaux, plutôt celle de Pair-non-Pair, était habitée il y a 60 000 ans; ce que nous enseignent ses murs est fascinant. Ceci dit, je serai toujours intéressée à la vie de notre Église et je continue de m’abonner à Pastorale-Québec.

Q: Mais c’est là une excellente conclusion! Merci beaucoup pour vos réponses, Denise.