Nous avons rejoint une bonne diversité de personnes concernées par la foi et les problématiques autochtones et leur avons posé deux questions. Leurs propos ont été recueillis par Amélie Martineau-Lavallée et Valérie Roberge-Dion.

  1. Quels sont vos rêves pour le cheminement entre l’Église et les peuples autochtones? Quelles pistes sont les plus intéressantes à développer? Défis?
  2. Quels sont vos espoirs quant aux fruits que pourrait avoir la visite du Pape ? (Pour vous, dans votre milieu, pour le Québec, etc.)

 

Marcelline Picard-Kanapé est membre de la nation Innue et retraitée de l’enseignement

Q.1 : J’ai été élevée dans la religion catholique et je l’ai pratiquée toute ma vie. C’est certain que tout ce qui s’est passé nous ébranle un peu. J’ai personnellement connu une année de pensionnat: un pensionnat nouveau, tout était neuf. Moi qui suis suis issue d’une famille de garçons, j’ai aimé vivre dans un monde de fille; incluant deux de mes tantes j’ai été très bien entourée. Je n’ai rien à redire sur mon expérience. Cependant, j’ai pris conscience que certaines choses qui se sont passées dans les pensionnats… Ils ont fait beaucoup de belles choses, mais ils ont fait aussi beaucoup de mauvais choix.

Je ne peux pas reprocher au clergé ce qui s’est passé, car ce sont des humains. Il me semble qu’ils ont été laissés trop à eux-mêmes. Spécialement dans les milieux éloignés, les missionnaires ont outrepassé leurs pouvoirs. Ils ont fait des actions que le Christ n’aurait pas faites ! À qui les Autochtones pouvaient-ils se plaindre quand l’Évêque est à 400 ou 500 km ? Il faut aussi se rappeler que les missionnaires ont eu la vie facile par rapport aux Autochtones qui vivaient-là. Ils avaient quelque chose à manger tous les jours; ils avaient un salaire, etc. Une histoire très connue dans notre communauté innue est celle d’un prêtre qui a voulu vivre dans le bois comme eux. Rapidement, il n’était plus capable de marcher et il se lamentait !

Il me semble que les gens d’Église qui viennent dans nos communautés doivent se mettre au niveau des gens et qu’ils essaient de comprendre ce que les gens du milieu vivent. J’aimerais qu’ils essaient d’adapter leurs actions aux besoins des gens.

Q.2 : Je n’ai pas de grands espoirs pour des changements radicaux… La seule chose, c’est que ça va mettre un baume dans les cœurs, particulièrement chez les gens qui ont souffert, surtout chez les plus croyants. On reçoit le Pape, mais quand il va partir ce sera fini. C’est certain que si je suis capable, je vais y aller. C’est tout de même une visite importante.

Il s’est vécu de la souffrance aussi dans les écoles de villages. Il n’y avait pas d’interprète dans les écoles et on ne comprenait pas le français, alors les professeurs utilisaient la strap… Encore aujourd’hui, les jeunes autochtones s’expriment souvent très peu à l’école. C’est normal, car leurs parents étaient punis s’ils s’exprimaient incorrectement… alors la meilleure chose à faire c’est de ne pas parler. Cela s’est transmis dans les familles et c’est entré dans la mentalité des gens. Ça va prendre du temps à enlever cela, mais ç’est possible ! Personnellement j’ai réussi à m’arracher à cela quand j’étais en 10e année, vers 15 ans. Je me suis fâchée concernant l’histoire du Canada et les Autochtones. J’ai dit avec force ce qui n’était pas vrai; c’était la première fois que j’ouvrais la bouche pour dire ce que je pensais ! Nous nous sommes relevés moins vite que les Québécois, parce que notre mentalité est différente.

Là où est mon espoir, c’est avec les gens qui vivent avec nous: les prêtres, les évêques, la population. J’espère qu’ils changent un peu leur mentalité. Plusieurs parlent notre langue innue. Ils devraient donc être en mesure de comprendre un peu mieux notre culture. On a toujours essayé de changer la mentalité des autochtones, et ça, ce fut une grosse erreur. La culture des gens passe par la langue! Notre mentalité autochtone est très différente de celle des non-autochtones. Nous n’avons pas du tout la même façon de penser ni d’envisager les choses !

 

Mathieu Lavigne est directeur de Mission chez nous (organisme de solidarité chrétienne avec les Premières Nations, fondé par l’AECQ).

Q.1 : Dans son plan d’action sur le racisme et la discrimination sorti en 2020, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) nous invite à former des alliances. Pour nous, c’est un mot fort, à grande portée symbolique; un mot qui nous invite à agir et à créer du lien. Mon rêve, c’est ça : que l’Église réponde pleinement à cet appel des communautés autochtones à être une alliée. Et comment ?  Cela passe par l’écoute, le décentrement, la remise en question, l’humilité… Et on voit des efforts en ce moment pour vivre cela. Les évêques y sont éveillés, à preuve l’énergie investie dans ce chemin d’apaisement. Et les excuses du Pape au Vatican seront réitérées en sol canadien cet été.

Cela soulève des défis. Il n’est pas nécessairement facile de se remettre en question, de se placer dans une posture d’apprentissage mutuel. Un autre défi, c’est d’accepter que l’autre puisse nous apprendre des choses; pour l’Église par exemple, de valoriser l’héritage spirituel autochtone. Le pape François a demandé de nous mettre à l’écoute de cette sagesse millénaire. Finalement, un autre défi majeur est de créer un lien de confiance, pour qu’il y ait une alliance!

Q.2 : J’espère que la visite du Pape aura un certain effet libérateur, qu’elle permettra un pas vers la guérison pour un grand nombre de victimes de différentes sortes d’abus, ainsi que pour leurs familles des anciens élèves, qui en subissent l’impact multigénérationnel.  Évidemment, ce ne seront pas toutes les victimes qui seront apaisées mais, pour plusieurs, ce sera l’occasion d’entendre et de voir le pape François être touché par les témoignages entendus. Les Autochtones accordent beaucoup d’importance à la relation, à la présence. D’où l’importance que cela se fasse en sol canadien et qu’un maximum d’Autochtones puisse y assister.

 

Anne Doran est théologienne à l’Institut de pastorale des dominicains; ses recherches portent sur la communauté innue.

Q.1 : Il est plus que temps qu’on reconnaisse la réalité, le mode de vie, des autochtones. Au niveau de l’Église, mais aussi au niveau de toute la société ! Ils ont été méprisés… L’histoire des pensionnats est directement reliée à cela. La faute essentielle de l’Église, c’est de ne pas avoir été un peu plus clairvoyante que le reste de la société, alors qu’elle avait en elle un message qui aurait pu lui permettre de voir plus loin! Je rêve qu’on en vienne à apprendre des choses des autochtones et non pas juste vouloir leur montrer des choses. À titre d’exemple, nous sommes devant des impasses au plan écologique, si nous regardions ce qu’ils ont à nous dire là-dessus.

L’important pour moi comme théologienne, c’est de comprendre que les Innus ont un regard et une interprétation du monde très intéressante. Leur pensée du don correspond à celle, fondamentale, du christianisme. Il y a quelques années, une Innue me partageait que ses ancêtres s’étaient converties au christianisme, car cela rejoignait leurs valeurs: générosité, entraide, partage.

Q.2 : La venue du Pape, c’est une belle ouverture de l’Église. On la voit dans Laudato sì et dans Querida Amazonia, même je ne suis pas certaine que l’Église ressente l’urgence de s’ouvrir à la culture et à la spiritualité autochtones… J’ai pu approfondir les prières innues qui sont extrêmement belles. Le christianisme de la communauté innue est centré sur l’amour et la confiance en Dieu. Mais nous restons méfiants tout en ayant le désir de nous ouvrir. 

Des développements théologiques seraient à faire aussi. Chez les Innus, le monde était rempli de sacralité, il portait le sacré en lui-même. Le christianisme qui leur a été présenté au moment de leur conversion était fortement centré sur la transcendance d’un Dieu situé au-delà du monde. Or dans leur culture, le sacré était présent au monde puisqu’il était lié à chacun des êtres. Leur adhésion à la foi chrétienne ne leur a donc pas permis de retrouver le lien entre leur foi et leur appartenance au monde. Le christianisme, notamment celui des Pères de l’Église, a aussi un lien très fort au monde dans le Christ fait chair. Il serait temps de développer ces éléments de notre tradition chrétienne pour répondre aux intuitions autochtones sur la sacralité du monde; ça pourrait fonder notre réflexion écologique.

 

Roger Twance est membre de la Nation Ojibwé et directeur de la mission Sainte-Kateri-au-Centre-Ville, à Montréal

Q.1: Un de mes grand rêves, c’est la réconciliation totale. Que l’Église reconnaisse officiellement la spiritualité autochtone. En tant qu’autochtone et catholique, je trouverais intéressant d’avoir un diocèse qui regroupe les paroisses autochtones, un peu à l’exemple de l’Ordinariat militaire ou comme les anglicans qui ont un évêque pour les communautés autochtones. Cela apporterait une belle reconnaissance ! Je porte aussi un autre rêve, plus original: avoir notre propre rite catholique autochtone avec nos coutumes. Il y a déjà plusieurs rites dans l’Église catholique qui cohabitent. Des choses se font déjà, comme inclure une prière silencieuse avec de la sauge et les tambours lors des célébrations.  

C’est certain que je rêve aussi qu’il y ait une saine curiosité à vouloir comprendre et connaître ce qui s’est passé dans l’histoire avec les communautés autochtones. Il m’arrive d’offrir aux gens d’aller leur parler de tout cela, mais rare sont les invitations. J’aimerais que la population en générale ait une plus grande ouverture.

Q.2: J’aimerais qu’il y ait un vrai commencement à la réconciliation. Présentement, on prépare des choses et on fait des rencontres. Il y a eu la délégation à Rome et là, le Pape vient. La découverte des sépultures à Kamloops, on pourrait dire que ça a été le point culminant de plus de 400 ans d’ombrage entre les autochtones, l’Église et l’histoire du Canada. J’espère que cette année, en 2022, qu’avec les deux grandes rencontres au Vatican et celles en terre canadienne avec le Pape, les deux parties fassent des pas. Que l’Église fasse un bout de chemin et que les autochtones aussi s’ouvrent à la réconciliation. Bien sûr on veut des excuses, mais il nous faut aussi faire un cheminement pour les accepter.

Dans la vie, ça se divise toujours en trois: il y a des autochtones qui sont catholiques, il y a des personnes autochtones non catholiques, qui rejettent l’Église et retournent vers leurs traditions et il y a un groupe de personnes qui vont aller autant du coté traditionnel que du côté de célébrations chrétiennes. Il faut accepter toutes les opinions et, dans le respect, bâtir avec tout ça. Le Pape n’est jamais venu au Canada pour rencontrer les peuples autochtones. Il y a eu dans le passé les regrets du pape Benoit XVI. Je trouve qu’il faudrait arrêter de toujours recommencer ces choses-là, à chaque demi-génération. Il faut se dire: « Maintenant, le pape vient ici pour cela; là, on va commencer à guérir pour vrai ! »

 

Jean Désy est poète et soignant dans Grand Nord québécois.

Q.1 : Je crois que le simple fait que le chef de l’Église catholique contemporaine accepte de se déplacer signifie à quel point il prend à cœur tout ce qui concerne l’actuelle réconciliation nécessaire. Il y a eu dans notre histoire des accrocs, des dérives, des misères, des exactions. Mais à mon sens, ce qu’il faut maintenant considérer, c’est l’avenir, un avenir commun qui doit pointer dans une seule direction, celle de l’harmonie, en particulier pour les enfants de ce pays qui ont tant besoin de percevoir que l’avenir n’est pas un mot vain.

Q.2 : Mon rêve, c’est que l’ensemble de ma société, c’est-à-dire la réunion des peuples issus de l’Autochtonie comme des gens venus de tant de pays différents au cours des derniers siècles, choisisse de cheminer dans une voie sacrée tout en reconnaissant la valeur de l’Église afin de rassembler les êtres, tout cela dans le but d’une prière commune.

Une des pistes majeures, c’est de recommencer à croire en la prière, et pas seulement dans la prière solitaire, comme celle que font tant de gens devant les forces et les splendeurs de la Nature. Il y a lieu de croire en la réunion de milliers de personnes, dans certains lieux sacrés et consacrés, pour que les prières individuelles soient réunies afin de créer plus de force de paix.

 

Josée Martineau est infirmière clinicienne au Nunavik.

Q.1 : Mon rêve est que nous soyons concrets, en favorisant une présence sur le terrain. Il y a des prêtres, des religieuses et des couples qui sont une présence d’Église dans certains villages autochtones, mais c’est minime. Je souhaiterais plus de cette proximité, au quotidien, au nom de l’Église. Je rêve qu’il y ait de la transparence, en donnant accès aux registres et aux documents historiques. Je rêve qu’on fasse davantage la promotion de la culture autochtone : à l’école, des cours de langues inuktitut, crie ou anichinabée, plutôt que des cours d’espagnol.  L’Église peut aussi promouvoir les cultures autochtones et encourager le savoir traditionnel. Que dans les églises catholiques établies dans des communautés autochtones, il y ait de l’art et des éléments de la culture autochtone. Ce n’est pas assez valorisé dans l’est du pays.

Les peuples autochtones ont souvent été indemnisés de manière monétaire. Je trouve plus pertinent d’aller dans des choses concrètes; c’est certain que de l’argent, tout le monde en veut, mais le mal-être qu’une personne peut vivre, il va toujours rester là… Étant donné ce qui s’est passé dans les pensionnats (abus sexuels, toxicomanie, suicides…), serait-il possible que le salaire d’un psychologue résident quelques années dans un village soit payé par l’Église ? Ça serait un geste très concret qui aurait un impact réel dans le long terme, tout comme les bienfaits du plein air et de l’activité physique.

Q.2 : Plusieurs autochtones espéraient la visite du Pape depuis longtemps! Qu’enfin ce qu’ils ont vécu soit reconnu, c’est déjà un fruit. Plus ce sera dit haut et fort dans les médias que l’Église s’excuse, plus ça va rentrer dans la tête du monde. L’Église va probablement faire quelque chose de concret à la suite de cette visite. J’espère aussi que ce qui aura été semé puisse continuer après la visite du pape. Et bien sûr, je souhaite que lors des rassemblements avec le Pape, les autochtones aient une place prioritaire!

 

Le cardinal Gérald C. Lacroix est archevêque de Québec depuis 11 ans.

Ça va nous permettre d’être ensemble, de marcher ensemble, les membres des communautés autochtones, les Québécois et Québécoises. De vivre ensemble des événements forts et parlants pour nous, je pense que ce sera bénéfique.

Je crois aussi que la parole, les gestes, la présence du Saint-Père vont nous guider dans la direction que nous avons choisie. Il va nous donner des pistes pour continuer à marcher ensemble vers la réconciliation, la guérison, l’espérance. Je suis certain que ses interventions seront ajustées pour nous aider à avoir une vision d’avenir.

Par ailleurs, globalement, après deux ans de pandémie : que ça va faire du bien de nous revoir en grands groupes, de nous réjouir d’être en famille ensemble!

Nous avons une communauté locale ici qui est la nation huronne-wendat. Je souhaite nouer de meilleures relations. Il y a un besoin de refaire des liens et les solidifier, apprendre à mieux nous connaître et nous respecter.

Mes attentes pour l’ensemble du diocèse : qu’on comprenne mieux les spiritualités autochtones, leurs traditions, qu’on puisse aller à fond dans des vérités, clarifier nos façons de nous voir. Il y a des préjugés et des stéréotypes, au sujet des uns et des autres. Je regarde juste ce qu’on a vécu après la tuerie à la Grande mosquée de Québec: le fait de marcher ensemble, musulmans, catholiques et l’ensemble de la population, a fait tomber des murs d’ignorance et de la peur. On a encore à travailler à des rapprochements aussi avec les communautés autochtones, et créer un avenir plus solidaire. L’idée est de transformer notre regard les uns envers les autres.