Avant sa publication officielle, voici l’homélie de Mgr Maurice Couture, archevêque émérite de Québec, à la mémoire de saint François de Laval et de sainte Marie de l’Incarnation.

Basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec, Québec, 18 mai 2014
Cinquième dimanche de Pâques
(Actes 6, 1-7; Pi 2, 4-9; Jn 14, 1-12)

Le rôle de l’homéliste est de tirer de la Parole de Dieu qu’on vient de proclamer un enseignement qui nourrit la foi des membres de l’assemblée. C’est dire qu’il doit adapter son menu aux goûts présumés de son auditoire, tenant compte de sa diversité et du contexte de son rassemblement.

Nous avons écouté les lectures du cinquième dimanche de Pâques. J’ai bien dit du cinquième dimanche de Pâques, et non du cinquième dimanche après Pâques. La nuance est importante, puisque tout le temps pascal n’est que le déploiement de la commémoration du Seigneur ressuscité. Ce mystère est tellement central dans l’histoire de notre salut que saint Paul a pu dire: « Si le Christ n’est pas ressuscité, c’est en vain que je suis croyant ».

C’est pourquoi même en cette circonstance unique où nous fêtons l’inestimable cadeau de la double canonisation du « père » et de la « mère » de l’Église canadienne, le rituel de notre célébration n’a pas dérogé à la primauté liturgique du mystère pascal. Ce qui ne nous empêchera pas de savourer le cadeau que notre pape François nous faisait le 3 avril dernier, en pleine période de carême. Nous avons attendu ce jour-ci pour festoyer davantage. Ça me rappelle personnellement le temps de mon enfance où les bons plats, et les friandises surtout, étaient reportés après le carême !

Parmi les invités de notre archevêque figurent les participants à la Montée-Jeunesse. Welcome to all the young people of many dioceses of the Canadian Church. Je consacrerai la dernière partie de mes propos à illustrer en quoi François de Laval et Marie de l’Incarnation peuvent inspirer la foi et l’engagement des jeunes dans notre monde d’aujourd’hui. Mais auparavant permettez qu’à l’intention de chacun et chacune d’entre vous, jeunes et moins jeunes, je tente d’expliquer, fût-ce très brièvement, le sens d’un passage de chacune des lectures que nous venons d’entendre.

Commençons par l’assemblée des disciples qui, dès le début de notre Église, va trancher collégialement un différent délicat comme le sont toujours les affrontements de type socioreligieux. Les chrétiens d’origine grecque se sentaient désavantagés par rapport à leurs frères juifs quant à l’aide matérielle apportée aux veuves nécessiteuses de leur nationalité respective. Le conflit va connaître une heureuse solution qui déborde de beaucoup l’objet du problème: ce sera le commencement du partage des responsabilités dans l’Église En se délestant du service des repas, les apôtres vont reconnaître à la fois que leur rôle spécifique est de présider à la prière et au service de la Parole, et que le service de la charité est tout aussi important, mais qu’il devra être partagé confié à d’autres ministres « estimés de tous et remplis d’Esprit saint et de sagesse ». Ce sera dans un premier temps le rôle des diacres. Mais nous savons, par la correspondance de saint Paul en particulier, que les ministères vont se diversifier au gré des besoins du Peuple de Dieu.

Aujourd’hui, dans le prolongement du Concile Vatican II, ces services sont assurés encore par les ministres ordonnés bien sûr, mais d’une façon plus large par les religieux et les religieuses dont la mission apostolique est dûment authentifiée, par les laïques engagés au nom de leur foi dans des mouvements ecclésiaux ou le monde séculier, par les agents et agentes de pastorale, les éducateurs et éducatrices de la foi des jeunes et des adultes, et l’énumération pourrait s’allonger pour couvrir toutes les dimensions de la pratique évangélique en Église et dans la société.

L’apôtre Pierre, dans la deuxième lecture, recourt à une comparaison qui illustre bien ces diverses facettes de la vie en Église. Il nous dit: Vous êtes comme les pierres vivantes qui servent à construire le Temple saint dont la pierre d’assise est nulle autre que le Christ lui-même. Vous devenez ainsi le peuple choisi qui appartient à Dieu, une nation sainte, un sacerdoce royal. Ces paroles ne s’adressent pas seulement aux dignitaires de l’Église, mais à tous ses membres. Les Pères du Concile l’ont bien fait valoir en affirmant que les propos de Pierre et certains autres textes de l’Écriture sainte sont à prendre au sens propre. Le sacerdoce baptismal n’appartient pas au simple langage allégorique. Il est commun à tous les baptisés. Le sacerdoce ministériel s’y ajoute chez les ministres ordonnés: il est d’une autre nature que le sacerdoce baptismal, mais ne l’éclipse pas.

C’est ainsi que le rituel du baptême, depuis la réforme liturgique qui a suivi Vatican II, s’inspire du texte de Pierre. Si vous avez moins de 45 ans et que vous avez été baptisé peu après votre naissance, vous avez entendu le ministre de votre baptême proclamer solennellement: « Désormais, tu es prêtre, prophète et roi ». Il est possible que vos parents, parrains et marraines n’aient pas compris plus que vous la signification de ce triple rôle! Pourtant, ces trois mots (prêtre, prophète, roi) résument bien les merveilles que toute personne baptisée est chargée d’annoncer, selon les termes de saint Pierre.

Être prêtre, au sens du sacerdoce baptismal, c’est témoigner des valeurs spirituelles qui ne périssent pas ; être prophète, c’est affirmer son appartenance au Christ et son adhésion à l’Évangile ; être roi, à la manière de Jésus qui est « venu pour servir et non pour être servi », c’est se mettre au service de son prochain.

François de Laval et Marie de l’Incarnation ont vécu éminemment leur sacerdoce baptismal par des voies différentes au plan personnel, mais dans la même optique missionnaire. La fondatrice du monastère des Ursulines a été successivement épouse, mère, veuve, femme d’affaires, moniale avant de répondre à l’appel missionnaire qui attirera en Nouvelle-France aussi bien des laïques, comme Jeanne Mance et madame de la Peltrie, que des hommes et des femmes consacré(e)s comme les Récollets, les Jésuites, les Ursulines et Marie de l’Incarnation, les Augustines et Catherine de Saint-Augustin, Marguerite Bourgeoys et les Sœurs de la Congrégation.

Arrivées à Québec en 1639, Marie Guyart et ses compagnes ursulines vont dispenser l’éducation qui faisait cruellement défaut tant chez les colons français qu’en milieu amérindien, pendant que les Augustines implantaient les premiers services de santé, dans un contexte de dénuement et de précarité effroyables. Vingt ans après, Mgr de Laval va structurer une Église locale ébranlée par les traitements infligés aux martyrs jésuites et frappée par des tensions internes dues, entre autres, à l’exploitation des autochtones par les commerçants français. Le pasteur infatigable en même temps que visionnaire va établir son séminaire et la première paroisse dont les 350e anniversaires viennent d’être célébrés successivement. Il n’est pas exagéré de penser que, sans ces apports sociaux, culturels et religieux, la fragile colonie française, déjà affaiblie par deux sièges consécutifs et par les répercussions des conflits entre la métropole et les autres puissances européennes, risquait de sombrer dans l’abandon.

C’est tout cela qu’évoque la canonisation de saint François de Laval et de sainte Marie de l’Incarnation, après l’octroi de la Porte sainte, cet autre cadeau du pape François. Aujourd’hui encore, l’Évangile nous rapporte une déclaration de Jésus qui précise son affirmation : « Je suis la Porte ». Il nous dit : « Personne ne va vers le Père sans passer par moi ». Il nous laisse entendre clairement qu’il faut passer par lui pour entrer dans l’intimité de Dieu, puisque lui et son Père ne font qu’un.

Sainte Marie de l’Incarnation, la grande mystique, a expérimenté au plus haut degré cette intimité avec son Seigneur. Saint François de Laval a poussé à l’extrême l’imitation du pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Les proposer comme modèles aux jeunes d’aujourd’hui, c’est placer la barre bien haute.

Cependant leurs parcours humains n’offrent rien d’inaccessible aux moins de 30 ans. Se sentant appelé au sacerdoce, François de Laval poursuit les études requises aux collèges de Laflèche et de Clermont dirigés par les Jésuites. Il fait partie d’un mouvement marial qui témoigne de sa ferveur, ce qui n’étonne pas chez un aspirant au sacerdoce ministériel. Ce qui étonne davantage aujourd’hui, c’est qu’il ait été nommé chanoine à 14 ans, gracieuseté d’un oncle évêque. Une promotion qui n’a rien à voir avec une sainteté précoce, mais figure parmi les abus qui régnaient dans le clergé de France. Des revenus financiers étaient attachés à ce titre ecclésiastique au sein des familles nobles dont provenaient bon nombres de prêtres. Ordonné à 24 ans, François sera presque aussitôt nommé archidiacre par le même oncle dans son diocèse. Grâce à sa maturité et à sa bonne formation, il y acquiert une expérience très riche qui le servira par la suite. Mais sous l’influence des grands réformateurs de l’Église de France, tels saint Jean-Eudes et saint Vincent de Paul, il va céder sa charge et se joindre à une communauté dirigée par un laïc et regroupant des chrétiens désireux de vivre selon les orientations du Concile de Trente. Il n’avait que 30 ans. Ce séjour à Caen sera comme une longue retraite préparatoire à l’épiscopat et qui tiendra lieu d’un vrai grand Séminaire. Il peut donc être vu comme un modèle des séminaristes et des jeunes prêtres.

Marie Guyart manifestera une précocité encore plus remarquable dans l’étape séculière de sa vie. Mariée à 17 ans, elle est mère 18 mois plus tard et veuve à 20 ans. Elle assume l’éducation de son fils, relève de la faillite le chantier maritime de son beau-frère et entre chez les ursulines à 32 ans, après avoir confié son fils à sa sœur.

 

Ce qui est imitable dans ce parcours exceptionnel, c’est la générosité d’une jeune femme qui répond au jour le jour à la volonté de Dieu, tout en demeurant attentive aux appels intérieurs qui la projetteront dans l’inconnu.