9 janvier 2016

Basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec

Homélie aux funérailles de

M. Jean-Paul L’Allier

(Ecclésiaste 3, 1-11; Jn 11, 17-27)

J’unis d’abord ma voix à celle de très nombreuses personnes qui ont voulu partager avec Mme Johanne Mongeau et ses fils le deuil qui les afflige si profondément. J’ajoute que je suis très sensible au privilège qui m’est accordé, grâce leur aimable complicité avec M. le Cardinal, de prononcer l’homélie en cette célébration pleine de signification pour la population de Québec et le peuple du Québec. S’ajoutent, en ce qui me concerne personnellement, le souvenir des liens établis avec M. Jean-Paul L’Allier dans l’exercice parallèle de nos fonctions respectives et la conscience vive que, compte tenu du décalage de nos âges, son sort devrait plus normalement être le mien. Permettez que je rappelle le dernier contact, familial celui-là, lorsque j’ai donné le sacrement de confirmation au jeune ado Hubert. Au cas où il en aurait oublié la date, mon agenda de 2009 révèle que c’était le 2 avril, en la chapelle où j’ai été ordonné prêtre.

J’en aurais long, même trop long à dire concernant les dossiers « mixtes » que le maire et l’archevêque de Québec ont gérés harmonieusement au tournant du siècle. Qu’il me suffise de mentionner que le Congrès eucharistique de Québec, a été une suggestion du maire, comme élément du programme des Fêtes du quatrième centenaire de Québec avant de devenir une initiative proposée par l’Archevêque aux différents conseils diocésains. Quant au protocole d’entente vécu entre les instances municipales et ecclésiales au sujet du patrimoine religieux, il n’est qu’une autre manifestation du style de gouvernance souhaité par les deux parties et marqué par la grande sensibilité culturelle de M. L’Allier, son sens du sacré, son souci du dialogue et son respect des compétences.

Nous avons entendu (et apprécié, si j’en juge par l’attention avec laquelle vous les avez accueillis) les hommages qui ont été rendus précédemment à la mémoire de M. L’Allier. Ils ne pouvaient que confirmer les nombreux témoignages que les médias nous ont livrés généreusement depuis son décès. Il revient plus spécifiquement à l’homéliste de faire ressortir ce que la Parole de Dieu nous dit en la circonstance que nous vivons intensément.

Des textes bibliques ont été soumis à la famille, lors d’une rencontre avec notre Pasteur qui s’est évadé expressément de la retraite annuelle des évêques du Québec au Cap-de-la-Madeleine. Le choix auquel se sont arrêtés les proches de M. L’Allier vous est sans doute apparu pertinent.

La première lecture était tirée de l’Ancien Testament, plus précisément de l’un des livres ditssapientiaux, fruits de la sagesse de nos ancêtres dans la foi. M. L’Allier aurait sûrement salué de son large sourire la nomenclature des épisodes qui tissent la vie de tout être humain, aujourd’hui comme hier. Le bon vivant qu’il était savait, lui aussi, comme Qohéleth, l’auteur inconnu de l’Ecclésiaste, savourer le temps présent et profiter des joies éphémères que la vie nous offre. Le temps est le plus beau don de Dieu pour quiconque cherche à donner un sens à ce qu’il vit, dans sa famille, dans son travail et dans son milieu social.

Quant à la lecture évangélique, elle est le choix régulier des proches d’un défunt dont le départ était inattendu, encore plus si, comme c’est le cas pour M. L’Allier, son expérience, son rayonnement et sa personnalité rendent sa perte particulièrement lourde aux yeux d’un vaste public.

Devant le reproche un peu amer que Marthe adresse au grand ami de la famille devant son manque d’empressement à venir au chevet de Lazare, Jésus comprend bien le désarroi de la pauvre sœur sous le coup d’un deuil prématuré. Mais, la sachant croyante, il lui dit: « Ton frère ressuscitera ». « Oui, rétorque vivement la femme, je sais qu’il ressuscitera au dernier jour. » Comme si elle lui disait: « Je sais. Mais, en attendant, mon frère ne sera plus là! »

La foi en la résurrection ne supprime pas le déchirement de la séparation d’un être cher. Mais elle donne la seule réponse, si mystérieuse soit-elle dans ses modalités, à notre aspiration à vivre après la mort. Car vie et mort s’évoquent mutuellement. Toute notre existence est tissée de « semi-morts » que sont les maladies, les deuils, les échecs: autant de signes avant-coureurs de la mort. Cette même existence, par ailleurs, est parsemée de  »semi-résurrections » que sont les naissances, les guérisons, les victoires porteuses de bonheur total.

Cette résurrection finale est promise à Marthe, et à chacun et chacune de nous en maints passages de la Parole de Dieu. Et comme pour nous entretenir dans l’espérance de cette résurrection, le dictionnaire Robert donne au terme ressusciter des significations mitigées.

En plus de « reprendre vie », ressusciter peut signifier.

1- « Revenir à la vie après une grave maladie »: ce n’est malheureusement pas ce qui est arrivé pour Monsieur L’Allier et nous devons nous soumettre à cette fatalité douloureuse.

2- « Faire revivre par le souvenir » la personne et les réalisations de celui qu’on a qualifié avec justesse d’« homme de bien »: ce qui a été fait magnifiquement dans les médias et aura été porté à son sommet dans cette célébration.

3- « Faire renaître sous l’effet de la gratitude ou de l’influence, les gestes d’une personne modèle ». En ce sens, il faut souhaiter que chacun et chacune de nous s’inspirent des valeurs sous-jacentes à l’action de Monsieur L’Allier, dans ses projets les plus audacieux comme dans son agir quotidien au service de la cité.

A ce sujet je me rappelle qu’au cours d’un tête-à-tête non programmé, le maire de Québec m’avait ouvert son cœur en une circonstance un peu difficile de sa carrière municipale. Vous comprendrez qu’il serait un peu indécent, voir périlleux, d’être plus précis. Il me confiait que son objectif majeur était de rapprocher ses concitoyens en menant de front le développement du quartier Saint-Roch et la restauration du Centre-Ville. A peu près résigné à renoncer à son fameux escalier qui relierait les deux paliers de sa Ville, il continuait à penser que son projet aurait contribué à juguler le complexe des citoyens de la Basse-Ville et favoriser le rapprochement des classes dans la Ville de Québec. Je ne me connaissais aucune compétence pour échanger sur les aspects techniques de ses projets. J’aurais d’ailleurs omis de le faire par respect pour le sacro-saint principe de la séparation de l’Église et de l’État, mais je ne pouvais qu’admirer le volet social de sa vision.

Bien plus, j’estime que Monsieur L’Allier m’a donné l’exemple de qualités pastorales comme le respect de la personne, l’amour des gens jusqu’à la capacité de pardonner, l’écoute de ses commettants.

Par-dessus tout, l’évêque auquel la tradition ecclésiale veut qu’il aime son Église diocésaine « comme l’Époux aime son épouse », je trouvais inspirante l’expression du maire qui traduisait son lien profond avec sa Ville en affirmant: « J’ai épousé la Ville de Québec ». Son « épouse » le lui rend bien aujourd’hui, sans préjudice bien sûr pour celle qui a partagé sa vie et dont nous partageons la peine.

Que le Seigneur en soit loué. Amen.